Le 13 août 1974, pour célébrer l’ouverture du Festival international de la jeunesse francophone, Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois présentent le spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion sur les plaines d’Abraham devant plus de 100 000 personnes. Retour sur un moment marquant de la chanson québécoise. 

En réunissant ces trois artistes, Guy Latraverse (L’osstidcho) parvient à réunir autant de générations : Robert Charlebois a trente ans, Gilles Vigneault quarante-cinq et Félix Leclerc soixante. Charlebois représente la jeunesse avec sa fougue et ses chansons rock, Vigneault se veut l’ambassadeur de la chanson traditionnelle québécoise et Leclerc incarne une époque plus classique, lui qui a été formé par la chanson française. 

Le Festival international de la jeunesse francophone

Le Festival international de la jeunesse francophone, passé à la postérité sous l’appellation « Superfrancofête », est une initiative de l’Agence de coopération culturelle et technique (depuis remplacée par l’Organisation internationale de la Francophonie) et des gouvernements fédéral et provincial. Cette dizaine de jours de célébrations aussi bien sportives que culturelles vise entre autres à mieux ancrer le Canada dans la Francophonie et à resserrer les liens entre les pays francophones du monde entier. 3 000 délégués de 25 pays différents sont rassemblés à Québec pour le festival. 

Contexte politique

Bien que la Superfrancofête mette la langue française et la culture québécoise à l’honneur, la politique s’infiltre dans les célébrations. Malgré la présence des premiers ministres fédéralistes Robert Bourassa et Pierre Elliott Trudeau, le loup, le renard et le lion n’hésitent pas à interpréter des chansons plus politisées. Après Il me reste un pays de Gilles Vigneault et les Qué-Can Blues de Robert Charlebois, L’Alouette en colère de Félix Leclerc scelle le segment nationaliste de la soirée, qui reprend ses airs de fête avec La danse à Saint-Dilon.

Une première pour Félix Leclerc

À 60 ans, Félix Leclerc diminue de plus en plus ses apparitions publiques et se prépare à la retraite. Dans sa biographie, Guy Latraverse parle du chansonnier comme d’un « pape » qui vivait « reclus » sur l’Île d’Orléans. Tout de même, Robert Charlebois et Gilles Vigneault réussissent à le convaincre de se joindre à eux pour une soirée qui, ils le découvriront bien assez tôt, sera mémorable. En effet, si les organisateurs s’attendent à un public de quelques milliers de personnes, ce sont plus de 100 000 spectateurs qui se retrouvent sur les plaines d’Abraham le 13 août 1974! Malgré une carrière impressionnante qui lui a fait parcourir le monde et l’a vu se produire devant plusieurs personnes très influentes, Félix ne s’est jamais retrouvé devant une foule aussi nombreuse.

J’ai vu le loup, le renard, le lion

Le titre du spectacle est directement inspiré de la chanson « J’ai vu le loup, le renard et le lièvre », chanson folklorique dont on retrouve des variantes à travers toute la francophonie. Bien que « le loup, le renard, le lion » fasse référence au trio de chanteurs – mais on ne s’entend pas pour savoir qui est quoi -, ceux-ci sont tous accompagnés de leurs musiciens. Félix Leclerc monte sur scène avec Vic Angelillo, fils de son ancien collègue du poste radio CHRC Victor Angelillo qui, 40 ans plus tôt, lui avait offert ses premières leçons sur une guitare, qui allait devenir son instrument de prédilection. D’ailleurs, c’est avec cette première guitare que Félix a composé sa célèbre chanson « Notre sentier » !

Pérennité

La Superfrancofête présente le premier spectacle francophone extérieur d’aussi grande envergure, il introduit une formule qui sera ensuite reprise pour les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal et à Québec, entre autres. La performance est aussi enregistrée et endisquée pour faire durer le moment et permettre au plus grand nombre de profiter de cette rencontre musicale exceptionnelle, qui se termine par Quand les hommes vivront d’amour. Pour Guy Latraverse, c’est le clou du spectacle : « Et cette finale qui restera marquée à jamais dans le cœur de ceux qui ont eu le bonheur d’entendre ces trois grands artistes livrer une sublime interprétation de la chanson Quand les hommes vivront d’amour, devenue depuis un hymne universel. Jamais je n’avais ressenti une telle émotion. D’où j’étais placé, je voyais en même temps la scène et la foule : un moment de magie comme il y en a peu dans une vie. » (Guy Latraverse : 50 ans de showbiz québécois. Pages 107-109.)

Pour célébrer les 50 ans de J’ai vu le loup, le renard, le lion, un spectacle gratuit regroupant plusieurs artistes québécois de renom a été organisé le 26 juillet 2024 dans le cadre de la Superfrancofête. Ce nouveau spectacle témoigne de l’intemporalité de la musique et de la culture. Comme l’a dit Félix, « [t]ous les chansonniers écrivent des chansons immortelles. Le temps donne son verdict : c’est de la poussière. Des années passent. Une exceptionnelle jeune voix les ressuscite, et les revoilà immortelles encore une fois. » (Dédicace adressée à Johanne Blouin lors du lancement en 1988 de son disque Merci Félix, composé de reprises des chansons de Félix Leclerc. La citation est également reproduite dans le Dernier calepin (1988) de Félix Leclerc, page 156.)

 

Laurence Richard

Coordonnatrice aux communications et à la programmation, Espace patrimonial Félix-Leclerc

 

Sources :

Merci à Luc Bellemare, musicologue et membre du Comité aviseur de la Fondation Félix-Leclerc pour son apport dans la recherche documentaire qui aura permis la rédaction de ce texte.

François Droüin, « J’ai vu le loup, le renard, le lion : Quand un spectacle fait l’histoire », dans Cap-aux-Diamants, n. 127, automne 2016, p.20-23, [en ligne]. https://id.erudit.org/iderudit/83715ac 

Guy Latraverse (2013). Guy Latraverse : 50 ans de showbiz québécois. Préface d’Yvon Deschamps. Montréal : La Presse, p. 107-109. 

Marc Legras et Gilles Vigneault (2008). Gilles Vigneault de Natashquan. Paris : Fayard / Chorus, p. 132.

Capsule Aujourd’hui l’histoire, 29 mai 2020